L’Enquête du jeudi. Les pervers d’Abidjan : ils agressent sexuellement les femmes dans les bus
Postée le 25-07-2025 / 155 Vues

Dans les bus d’Abidjan, des femmes subissent chaque jour des gestes déplacés. Des attouchements et frottements furtifs pouvant aller à des agressions plus marquées. Ces actes qui sont le fait des hommes restent souvent impunis. Le silence semble régner sur la pratique. Alors que les victimes sont nombreuses.

Emprunter le bus à Abidjan, pour nombre de femmes, c’est affronter la peur. Le simple fait de se rendre au travail ou à l’école devient un risque quotidien. Ces gestes déplacés, parfois minimisés ou ignorés, marquent durablement les esprits. Dans le bus 76, le 88 ou encore le 90, les témoignages se ressemblent. Les victimes racontent l’humiliation, la colère, la peur.

« Il se collait à moi »

Roseline Koné, étudiante, se souvient avec écœur ement de ce jour où, dans le bus 76, sur l’axe Abobo–Cité administrative, un vieil homme a refusé de s’asseoir, prétextant une gêne aux fesses. « Le bus n’était même pas bourré. Mais un vieux monsieur s’est collé à moi. J’ai senti quelque chose de bizarre… Il avait sorti son sexe. Il me touchait. J’ai essayé de le repousser. J’étais tétanisée. Quand je suis arrivée à la gare, je l’ai bousculé et je suis descendue. Je me suis sentie sale, impuissante, énervée ».

Roseline n’est pas un cas isolé. Dans les bus, de nombreuses femmes sont victimes d’attouchements, parfois en pleine journée, sans que personne ne soutienne les victimes. Une réalité souvent difficile à exprimer, tant la honte, la peur du jugement et l’impunité enferment les victimes dans le silence.

« J’ai hurlé »

Olvène Ehoussou, aujourd’hui en master 2, se souvient encore avec colère de ce qu’elle a vécu en première année d’université. « C’était dans le bus 85, entre Yopougon et mon campus. J’étais adossée à la barre, dos à un lycéen. Je sentis une main sur mes fesses. J’ai d’abord pensé que ce sont les secousses, mais ça continuait. Je lui ai demandé d’arrêter. Il le fit, puis recommença peu après. Et encore. Là, j'ai hurlé. Les gens ont commencé à s’interroger sur ce qui se passait : « Arrête ça, je vais te gifler ! Les Fescistes vont te mettre dehors. Tu crois que je suis ta camarade ? ». Cette fois, les regards se sont tournés vers elle. L’agresseur a donc reculé. « J’étais en colère. Mais au moins, il a arrêté ».

Si certaines parviennent à réagir comme Olvène, d’autres restent paralysées. Danielle (nom d’emprunt), également étudiante, a été agressée deux fois dans les bus. La première fois, c’était à bord du bus 90. « J’étais jeune, on était serrés, mais il y avait de l’espace. Un homme s’est mis à se frotter contre moi. Plus je bougeais pour m’éloigner, plus il s’approchait de moi. Je lui ai dit de reculer. Il m’a répondu : « Si tu ne veux pas qu’on te touche, il ne faut pas prendre le bus. » Il était en érection. J’avais envie de le gifler, mais surtout de pleurer ».

La deuxième agression a eu lieu quelques années plus tard, alors qu’elle était debout et que son agresseur était assis. « Il s’est mis à me caresser le bras, en remontant vers l’épaule. Il m’a dit : “Tu es belle, tu veux t’asseoir ?”. Devant tout le monde, je lui ai lancé un regard de dégoût. Il a commencé à faire le fou, puis il est descendu ».

7 femmes sur 10 ont été victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun

Ces gestes, souvent banalisés, ont des conséquences psychologiques durables. La peur, la colère, la honte, le sentiment d’impuissance. Cyrielle, qui se rendait à Cocody pour une répétition de danse, a vécu une expérience similaire dans le bus 88. « Un vieux monsieur m’a appuyé sur les fesses. Je me suis retournée et je l’ai insulté. Les gens dans le bus m’ont demandé de me calmer. Pourquoi c’est moi qui devrait me calmer ? ». Raïssa, elle, se souvient avoir été touchée alors qu’elle allait au marché d’Abobo. « Il croyait peut-être que j’étais une enfant, parce que je fais jeune. »

Ces récits ont en commun leur cadre, le bus, véhicule de transport en commun, favorisant la promiscuité. Les victimes, elles, ne portent presque jamais plainte. Il n’existe toujours pas de dispositif clair et efficace pour signaler ces comportements dans les transports en commun.

Le harcèlement sexuel dans les transports en commun à Abidjan est un phénomène largement répandu, mais encore peu pris en compte par les politiques publiques agissant contre ce genre de faits. Un rapport conjoint de l’UNICEF et de l’Association ivoirienne pour la Défense des Femmes (AIDF), publié en 2022, indique que 7 femmes sur 10 en milieu urbain en Côte d’Ivoire, ont été victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun. Les formes de harcèlement répertoriées vont des commentaires déplacés aux agressions physiques. Le rapport souligne que ces chiffres sont largement sous-estimés, car les victimes gardent souvent le silence par honte ou peur de ne pas être prises au sérieux. Pourtant, la loi n° 2019-574 du 26 juin 2019 condamne le harcèlement sexuel.

Promiscuité aux heures de pointe

Une étude universitaire publiée par le journal en ligne OpenEdition et intitulée « Être une femme dans les transports en commun à Abidjan », analyse la vie quotidienne des passagères. Elle révèle un climat d’insécurité permanente, exacerbée par la promiscuité dans les bus, gbaka et wôrô-wôrô, surtout aux heures de pointe. Les formes d’agression citées vont des remarques obscènes, aux attouchements physiques. L’étude souligne que les victimes sont souvent culpabilisées, invisibilisées ou moquées. Le personnel de transport n’est ni formé ni sensibilisé, et les structures étatiques en charge d’un tel sujet restent absentes. Ce travail académique appelle à une reconnaissance juridique et sociale du harcèlement sexuel dans l’espace public, ainsi qu’à une régulation renforcée du secteur des transports urbains.

Le vrai problème : l’impunité des agresseurs et l’éducation des hommes

Une autre étude majeure a été menée en 2023, par la Fédération internationale des Travailleurs des Transports (ITF) dans le cadre du projet Bus Rapid Transit (BRT) à Abidjan. L’enquête, menée auprès d’utilisatrices régulières de la Sotra, révèle que 60 % d’entre elles ont subi des frottements non consentis, 25 % des frôlements insistants, et 15 % des attouchements directs. Des faits qui se produisent généralement dans les bus bondés, aux heures de pointe. Le rapport recommande l’installation de caméras de surveillance, la formation du personnel, la création de mécanismes de signalement anonymes et des campagnes de sensibilisation. Le document conclut que ces faits doivent être traités comme une urgence de sécurité publique, au même titre que les vols ou les agressions physiques.

Face à cette réalité, plusieurs ONG comme SOS Violences Sexuelles, Zéro Impunité ou Stop au Harcèlement en Côte d’Ivoire, tentent d’agir. Elles organisent des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, les universités et les gares routières, et diffusent des numéros verts pour recueillir les témoignages. Mais la portée de leurs actions reste limitée par le manque de moyens et la faible médiatisation.

Le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant a lancé quelques campagnes de sensibilisation, mais aucune initiative spécifique ne cible les transports en commun.

Il existe des exemples d’expériences menées ailleurs. Au Kenya ou au Maroc, des bus réservés aux femmes ont été testés. Une solution controversée. Certaines militantes y voient un outil de protection provisoire, d’autres une mesure discriminatoire qui ne s’attaque pas au vrai problème : l’impunité des agresseurs et l’éducation des hommes. Lire la suite sur https://lebanco.net/news/50179-lenquete-du-jeudi-les-pervers-dabidjan-ils-agressent-sexuellement-les-femmes-dans-les-bus.html

 

Mots clés: #Abidjan
Source : Lebanco.net
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